Chambre de bébé, sur le parking de la gare Nanterre-Université |
Premier acte militant
après trois semaines de vacances : répondre à l’appel du comité de soutien
du bidonville des Roms de Nanterre à retrouver ce qu’il reste des familles,
après leur expulsion du terrain appartenant à l’EPADESA où ils avaient construit
des cabanes, et organisé une vie aussi chaleureuse que précaire.
Sur les deux ou trois centaines, je n’ai revu que quelques dizaines d’adultes et autant d’enfants,
et seuls les enfants avaient conservé une indestructible joie de vivre. Où sont
partis les autres ? personne ne le sait. « On attend d’être encore et
encore expulsés, aujourd’hui sur ce parking, demain on sera dans un coin encore
plus petit, et puis après ? en
prison ? » : le mari de Claudia nous fait comprendre son
état d’âme, avec tous les mots de français qu’il peut mobiliser, et gestes à l’appui.
Claudia, elle qui était notre « interprète », est devenue presque muette,
visiblement fatiguée, sinon déprimée. Suite à la destruction du bidonville, la
plupart ont dormi dehors pendant une semaine, avant l’arrivée de deux ou trois
tentes fournies par des associations. C’est encore sans abri, sur des matelas
de fortune ou même sans matelas, qu’une vingtaine de personnes se serrent contre
les piliers de béton, sous les voies ferrées, tout au bout du quai de la gare
Nanterre-Université, sous le regard indifférent
des passants. Ni point d’eau, ni
sanitaires, évidemment, d’ailleurs la ville avait refusé aussi d’en installer
pour le bidonville. Pourtant, on ne lésine pas pour d’autres dépenses : une
barrière a été édifié à la hâte, deux véhicules et quatre agents de sécurité sont
mobilisés, de peur sans doute que ce carré de goudron n’attire toute la misère
de l’Ïle-de-France. Des véhicules de police patrouillent, semant la panique
chez les enfants encore traumatisés par
l’expulsion précédente, qui ne sera pas la dernière : la prochaine est promise,
selon les propos d’un officier de police que m’a rapportés une militante du
comité de soutien : « bientôt, à tout moment, de jour comme de nuit ».
Habitants de
bidonville devenus des sans-abris sous haute surveillance et sous la menace
sans trêve d’être expulsés vers une misère, s’il en existe, encore plus
inhumaine …voilà le progrès de civilisation réservé à ces citoyens européens par les
autorités de la République française.
Mais malgré tout l’être humain est admirable de résilience.
Un enfant est né, à l’hôpital de Nanterre, il y a sept jours, et le bonheur de
la jeune maman de 19 ans, du papa, des grands parents, de toute la grande
famille, est communicatif. Au bout de quatre jours, rentabilité
oblige, mère et enfant ont quitté la maternité, sans, semble-t-il, qu’un(e)
assistant(e) social(e) ne se soit préoccupé(e) de leur devenir. Heureusement,
des voisins les ont hébergés deux jours, puis une des tentes prêtées par les
soutiens a abrité le nourrisson et sa mère, tandis que tous les autres de la
famille dormaient ou veillaient à la
belle étoile. Il est vrai que grâce à l’intervention de cadres communaux, qui
ont réussi à joindre le 115, après des essais infructueux de membres du comité
de soutien, une chambre d’hôtel lui était réservée pour 7 nuitées. Mais c’est à
Aulnay-sous-Bois. Toujours traumatisée par l’expulsion, la jeune femme a peur d’y
aller, surtout qu’elle a perdu ses papiers. Et puis, sans argent, comment se
nourrir sans la solidarité de la grande famille ? Surtout, visiblement,
chez elle comme chez les autres Roms et chez les soutiens, la défiance de toutes
les institutions est devenue très forte, après tout ce mépris, tout ce racisme,
toutes ces expulsions... Les arguments de l’avocate, jointe par téléphone, la
possibilité de l’y amener en voiture, d’y séjourner avec sa mère, finissent cependant
par la convaincre.
Et puis l’être humain sait être solidaire et fraternel. Des
voisins apportent de la nourriture et quelques objets de première nécessité.
Parmi eux, une assistante sociale, qui explique aux jeunes et pour la plupart inexpérimentés
militants, qui constituent la frêle ossature du comité de soutien,
que l’aide à l’enfance, l’aide sociale, les assistantes sociales, dépendent du
Conseil général, que c’est aux services départementaux qu’il faut s’adresser,
que dans une situation de « rupture alimentaire » ils peuvent aider à
faire appel à des associations caritatives, que les familles avec des enfants ont droit à
des aides, qu’on peut obtenir des hébergements…Mais les Roms ne connaissent pas
leurs droits, et il y a la barrière de la langue, de la culture, et il y a surtout des discriminations
racistes qui les en privent.
Enfin, je n'oublie pas, comme preuve d'espérance, le dynamisme de Maria, qui
après des études secondaires en Roumanie, bilingue de naissance grâce à sa
maman hongroise, parle toutes les langues latines et en écrit la plupart,
apprises en autodidacte au hasard des rencontres et des boulots dans des
familles en échange du gite et du couvert. Elle veut travailler, dans l’aide à
la personne, ou comme interprète, et nous demande de rechercher pour elle un
job, car elle n’a pas accès à internet, et, pas plus qu’aux autres qui comme
elle s’y sont inscrits, Pôle Emploi ne lui propose un travail.
Des forces existent, chez les Roms, parmi les 500 signataires
de la pétition du comité de soutien, et sans doute au-delà, qui auraient pu faire que le passage des Roms à
Nanterre ne se termine pas de manière si désolante sur ce parking, par une
nouvelle expulsion annoncée. Peut-être n’est-il pas encore trop tard pour qu’il
n'en soit pas totalement ainsi...
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