Je suis allé hier au Théâtre Gérard Philippe, invité par des ami-e-s du comité de Saint-Denis du MRAP. Exhibit B, de Brett Bailey, est un geste artistique sur le colonialisme, « édifiant » au sens le plus fort du mot. Les mots, après avoir vu les tableaux, on les cherche, et puis ils se bousculent. Les spectateurs sont nombreux à écrire, comme moi, parfois longuement, dans la dernière salle où les créateurs et acteurs des performances ont exposé leurs témoignages. Le besoin de parler nous a menés tard dans la soirée, au bar du théâtre, puis, entre amis du MRAP, dans un café proche.
Des journalistes, comme ceux du Monde ou de l’Humanité, des personnalités comme Lilian Thuram, des militants et des citoyens engagés dans la lutte pour l’égalité, l’anticolonialisme, l’antiracisme, ont attendu d’avoir vu Exhibit B pour s’exprimer. Ce n’est pas le cas de la centaine de manifestants qui ont tenté d’empêcher les représentations, et ont empêché que la nécessaire mise en mots, en débat, qu’appelle Exhibit, ait pu à ce jour vraiment avoir lieu avec tous. Pire : l’image du Théâtre Gérard PhiIippe , qui abrita les luttes des sans papiers, mis sous protection policière pour qu’un spectacle contre le colonialisme et le racisme puisse avoir lieu, c’est le comble de la confusion. Imitant dans leur forme d’action les cabales d’intégristes fanatisés, violemment hostiles à des spectacles d’art vivant qu’ils refusent de voir et de laisser voir, les cris des manifestants hostiles n’en interpellent pas moins sur un profond désarroi dans notre société et méritent d’être entendus comme tels.
Le combat contre le racisme aujourd’hui pourrait-il avoir un sens, s’il se bornait à signer sur internet une pétition contre une œuvre d’art dont on aurait ouï-dire du mal ? Pourrait-on, pour reprendre l’initiative contre le racisme (comme y appelle un texte dont je suis un des premiers signataires), surfer sur une apparence des choses présentée sur le WEB, et réagir seulement à fleur de peau : chacun pour sa peau, chacun pour sa « race » ? C’est le rêve de ceux qui veulent perpétuer leur pouvoir, leur domination, leur système mondialisé d’exploitation et d’oppression mortifères : faire croire que les pays et les peuples sont divisés entre groupes ethniques, par essence hostiles, en perpétuelle et stérile concurrence de mémoires et de cultures exclusives, et que cela remplacerait désormais les luttes de classes.
L’équipe du théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis, les militants du comité de Saint-Denis du MRAP, ont résisté, faisant le pari de la culture, de l’intelligence et de la création, combat universel pour qui veut construire une mémoire commune, critique et porteuse de sens pour les combats émancipateurs d’aujourd’hui.
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