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40 mars 2016, Place de la République, Paris

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Nanterre en colère

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En 2017, changeons la politique !

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samedi 16 mai 2015

"Reprenons l’initiative contre les politiques de racialisation"



Samedi 9 mai, le collectif, dont l’appel initial compte environ 2000 signataires, organisait un colloque à Gennevilliers. Farid Bennai a introduit la discussion en plénière par la lecture d’un texte publié par Médiapart. Plusieurs courtes interventions ont ensuite évoqué des luttes et des débats en cours : les chibanis de la SNCF contre les discriminations ;  les crimes coloniaux du 8 mai 1945 à Sétif ; Antisémitisme et islamophobie (UJFP) ; les droits des Roms ; les luttes pour la régularisation des sans- papiers (UNSP) ; violences policières ; appel du 21 mars contre le racisme ; sortir du colonialisme ; Droit Au Logement ; Exhibit B ; PIR ; FUIQP…

Puis le travail a continué en ateliers. J’ai participé à celui consacré à « débloquer les verrous idéologiques »

Ne pas parler au nom des sans voix, situer sa parole….

L’atelier « combat  idéologique », un des temps forts du forum organisé à Gennevilliers, était co-animé par le sociologue Eric Fassin et la jeune militante communiste Sonia Nour.  Pas moins de vingt-six interventions  ont tissé un échange réactif et passionné. Je ne peux qu’en écrire ce que j’en ai noté et retenu, et c’est à croiser et confronter avec d’autres points de vue. C’est – en tout cas ce devrait – être la règle pour tout ce qui se voudrait rendre compte d’un débat, mais c’est encore plus vrai de celui-ci. Comme en prenant la parole samedi, il importe en effet d’abord de situer ici qui dit je.
Je suis militant communiste, du  réseau Migrations-citoyenneté PCF92,  et c’est en tant que tel que, personnellement, je suis un des premiers signataires de l’appel « Reprenons l’initiative ».
 Je suis aussi militant du MRAP, organisation dont on aurait bien tort de mépriser l’histoire et l’activité présente parce qu’à un congrès la notion de « racisme anti blanc » est passée. Nous sommes nombreux, et sans doute très majoritaires, à demander que ces mots, aussi choquants qu’en contradiction avec nos engagements réels,  disparaissent le plus vite possible.
J’ai fait le choix d’enseigner plus de vingt ans dans un quartier populaire de Nanterre, et depuis plus de vingt ans j’habite la même cité que des élèves et leurs parents. Combattre les inégalités et les oppressions de classe, les discriminations, une politique et des idéologies de plus en plus « racialisantes », xénophobes, aux côtés des habitants du quartier, comme aux côtés des « sans-papiers », aux côtés des Roms … c’est de plus en plus difficile.
Les luttes menées avec mes organisations politique, syndicale et associative marquent le pas. C’est pourquoi j’ai participé au colloque, pour inventer ensemble d’autres pratiques, pour ouvrir d’autres perspectives.
Quelques idées fortes que j’ai retenues de l’atelier où nous nous sommes efforcés de « débloquer des verrous idéologiques. » :
Racialisation, assignation…
Le racisme, c’est des discriminations, des mépris, des violences,  des crimes. Le passé imprègne notre présent, et notre époque, notre société, nos gouvernants,  nos institutions, ajoutent des formes de racisme, des souffrances nouvelles. Personne ne doit, ne peut parler à la place de celles et de ceux qui en sont les victimes directes. Evidemment, ceux qui comme moi sont blancs de peau, ne font partie d’aucune « minorité visible », ne sont pas « héritiers » de peuples colonisés,  ceux qui ne sont pas musulmans, ne sont pas juifs, ceux qui n’ont pas le look de jeune des cités ou de migrant avec ou sans papiers,  cibles de contrôles  et de violences  policiers, ceux qui ne sont pas des Roms chassés de bidonville en bidonville… ceux-là, « les Blancs »,  ne vivent pas dans leur chair ni dans leur âme les blessures infligées aux « racialisé-e-s ». « L’empathie, ce n’est pas l’expérience de la souffrance »,  « Il faut des espaces où les « racialisés » dominés décident entre eux de leurs actions autonomes », a-t-il été répété, faisant parfois le parallèle avec des mouvements pour les droits des femmes contre le patriarcat. Dans cette logique, la discrimination positive (impliquant des « statistiques ethniques ») serait, pour certains,  à revendiquer.

Un vif débat à propos des manifestations contre Exhibit 2, performance artistique ressentie comme raciste et blessante par des intervenants,  alors que d’autres militant-e-s antiracistes ont regretté que ces manifestations aient empêché qu’un débat ait lieu (1), a montré combien la question est complexe. Au nom de l’ «Universel » dont la culture européenne serait porteuse, on sait que la colonisation passait, et passe encore dans une partie de l’opinion, pour avoir eu de prétendues vertus  « civilisatrices ».  On sait que des organisations « progressistes » au nom de bonnes intentions - philanthropiques, voire charitables - ont parlé, et pour certaines parlent encore,  au nom de dominés laissés sans voix, pour les instrumentaliser à des fins politiciennes ou par incapacité à sortir d’un paternalisme fondamentalement raciste.

Aimé Césaire, avec son concept de négritude, appelait à « se mobiliser comme tel, pour échapper à l’assignation, condition nécessaire pour s’émanciper, pour construire un « universalisme situé », selon un intervenant.  Mais c’est aussitôt pour pointer lui-même le danger : celui de l’ « essentialisation » de l’être humain dans une des caractéristiques de son identité, alors que l’identité individuelle, la personnalité de chacun, sont forcément multiples . Le concept de racialisation  lui-même, si cette racialité devient l’identité subjectivement revendiquée par les « racialisés », serait-il piégé, porteur d’une « assignation » raciste à sa « race » ?


La hiérarchisation des racismes renforce le racisme


 Des échanges sur l’antisémitisme, lancés notamment par des militantes de l’UJFP, ont montré le danger de la  « hiérarchisation » des racismes. Depuis le début des années 1980, l’idéologie de la « guerre des civilisations » prétend assigner les juifs à être du côté de l’Occident, comme partie constitutive d’une Europe qualifiée désormais de  judéo-chrétienne, et, paradoxalement, à être sionistes et soutiens inconditionnels  de la politique de l’Etat d’Israël en Palestine occupée. La banalisation de l’islamophobie contrastant avec la condamnation de l’antisémitisme, dans la politique portée notamment par Manuel Valls, cela  ne relève donc pas seulement d’un « deux poids-deux mesures » dans le dosage des mots, mais bel et bien d’une vision idéologisée d’une « guerre des mondes racisés», où le Juif serait  l’allié de l’Occident  et le Musulman son ennemi potentiel ou effectif. Ce qui ne peut qu’ajouter des formes nouvelles d’antisémitisme, par exemple avec la répression des manifestations contre les massacres de Gaza, et alimenter des théories du complot à la Soral, qui recyclent les vieux thèmes de l’antisémitisme des siècles passés. Parfois cité, le concept de « philosémitisme d’Etat », qui pour ses inventeurs, prétend exprimer l’hypocrisie d’un « antisémitisme retourné »,  et ouvrir un nouveau front dans la lutte idéologique, est, pour beaucoup d’entre nous, pour le moins ambigu, et il risque surtout de conforter… l’antisémitisme !

Comment s’émanciper vraiment des mots, des catégories racistes ?

 L’intitulé du colloque était clair : « contre les politiques de racialisation », dont « personne ne sort indemne », a averti Eric Fassin. « Nous sommes tous racialisés, les Blancs aussi ». Ce qui ne veut pas dire que le « racisme anti-Blanc » serait un concept  recevable, parce qu’il ne correspond pas à une structure de domination subie par les Blancs du fait de leur « racialisation », mais qu’au contraire le fait d’être défini comme Blanc constituerait  un privilège et une assignation à une place de dominant.
Les antiracistes « blancs » n’ont pas été les seuls à se rebeller contre l’assignation à leur « race » ! Une militante d’origine tunisienne, une universitaire  algérienne qui travaille sur le code de la famille, ont été parmi les plus véhémentes à dire leur ras-le-bol de leur catégorisation selon des stéréotypes attendus d’après leurs noms, leur religion supposée… Alors, que peut vraiment signifier concrètement l’expression  lancée par une « militante féministe post coloniale » : « Les Arabes, les Juifs et nos alliés Blancs » ?
Une enseignante de Bobigny a expliqué que dans ses classes «  les Blancs, c’était des enfants roms ! », ajoutant qu’ « on est racialisé par sa classe sociale avant de l’être par son origine », mais que l’appartenance de classe s’est effacée des consciences.

La lutte contre le racisme, une question politique

D’emblée, justement, l’accent avait été mis sur « enjeux de classe/enjeux de races »,  dans les quelques mots d’introduction des animateur-animatrice de l’atelier. L’antiracisme aurait été jusqu’à présent uniquement perçu par les organisations « traditionnelles » sous l’angle moral, individuel, comme une question d’ignorance à combler…Il s’agit maintenant de prendre la mesure de sa fonction politique. Créer de l’altérité, des divisions, des boucs émissaires, ça sert aux dominants à rester dominants. L’erreur de « la gauche » a été de prendre à la lettre la théorie marxiste de détermination en première instance des questions économiques, des luttes de classes, et de tenir pour secondaires les « questions raciales ».
Etant entendu que le PS actuel, dans sa dérive pro capitaliste « libéral », et sa créature des années quatre-vingts, SOS-racisme, n’étaient ni présents, ni invités, ni considérés comme faisant partie de la gauche telle qu’implicitement définie, l’injonction à s’expliquer sur « comment avons-nous perdu l’initiative » s’adressait aux « politiques » présents au forum : PCF, Ensemble, citoyen-ne-s « non encarté-e-s » pour le Front de gauche, et NPA.
Les communistes participant à l’atelier étaient parmi les premiers signataires de l’appel. Leurs contributions se sont donc situées naturellement dans la recherche commune d’avancées théoriques et de luttes concrètes. Ainsi, pour Fabienne Haloui, membre de l’exécutif national et animatrice de la commission « lutte contre le racisme », l’angle de discussion pour le PCF,  c’est d’inscrire les luttes contre les inégalités, les discriminations, dans le combat de classe. En matière de verrous idéologiques, culturels, « l’extrême droite a vampirisé la laïcité »,  il en est de même de l’ « identité nationale »,  alors que la nation est constituée d’immigrations successives…

De leur côté, des militants du MRAP présents,  déjà engagés depuis longtemps, avec d’autres « associatifs » venus au forum, dans la solidarité concrète avec les Roms, les sans- papiers,  avec des peuples en lutte dans le monde, comme sur la mémoire de la colonisation et de l’esclavage, n’avaient pas le sentiment d’en rester à un « antiracisme moral ». Politiser l’antiracisme ne saurait conduire à abandonner le terrain de l’éducation populaire, ni les interventions en milieu scolaire, encore moins l’exigence que l’institution Education nationale prenne en compte la diversité des origines et des cultures pour en faire du commun, a-t-il été précisé...

Les luttes des migrants, du local au mondial.

L’active participation d’animateurs de collectifs de sans-papiers, de l’UNSP, a donné au débat une dimension nouvelle. Dès la séance inaugurale, l’évocation de la lutte des coiffeuses du 57 boulevard de Strasbourg avait été une occasion unique d’applaudir une action qui gagne. Si l’appel du collectif initial visait avant tout les habitants, de nationalité française pour la plupart,  héritiers du colonialisme et des immigrations, les luttes pour le droit au séjour des nouveaux arrivants ne pouvaient pas être hors-sujet. « Des habitants des quartiers populaires sont concernés directement, pour des membres de leurs familles par exemple, par le projet de loi sur l’entrée et le séjour des étrangers »a expliqué Violaine, du GISTI. « Seule, la carte de résident permet de s’insérer dans la société, d’avoir vraiment accès à des droits stables. Au contraire, la loi et les circulaires maintiennent dans la précarité et facilitent les expulsions au détriment du droit ».  Plus généralement, la xénophobie d’Etat, la fermeture des frontières de l’Europe forteresse ont été dénoncées. La néocolonialisme pille les richesses de l’Afrique, les interventions militaires  ont créé le chaos et mis des pays à feu et à sang… et les « boat-people » de la Méditerranée font la une de l’actualité.  Les fantasmes de l’invasion et du « remplacement »,  sont au cœur des discours de Front national, de plus en plus repris et banalisés.  

L’autonomie reste à construire…

L’ « autonomie » des luttes des sans-papiers est  posée, au moins depuis l’occupation de Saint-Bernard en 1996, ce qui ne dispense pas les associations de soutien, ni les syndicats, ni les « politiques », de construire avec eux des initiatives…Une expérience à prendre en compte, la question de l’autonomisation de l’organisation, des revendications, des formes de lutte des « dominés », des « racialisés », des jeunes des quartiers populaires, étant un objectif central du colloque.
Mais l’autonomie ne peut relever ni d’un spontanéisme subjectif, d’une identification à des groupes définis par les dominants. Qui rassembler, sur quels mots d’ordre ? des rendez-vous sont pris, les actions sont nombreuses et diverses : quelles convergences sont possibles ? quel commun en construire ?   L’essentiel reste à inventer. Cela  implique la participation réelle et directe des premiers concernés, faute de quoi le risque est grand de « parler à leur place », qu’on soit sociologue, militant associatif ou politique. Visiblement, faire venir «les jeunes des quartiers », ce n’est pas facile. Des initiatives à l’échelle de la ville, comme le développement de toutes les ressources d’internet, devraient permettre de passer vraiment à une autre étape.


Dans la synthèse en plénière, Saïd Bouamama nous a invités à être humbles et ambitieux. En effet, dans la crise que nous vivons, les « mutations sociologiques » sont synonymes de précarisation généralisée, d’angoisses, de mise en concurrence  des marchandises et des hommes à l’échelle du monde…et dans cette situation la « perception du racisme » change. Et s’intensifie surtout son utilisation comme arme de division massive aux mains des dominants pour pérenniser leur domination de classe, ajouterais-je… Changer la donne implique que le PCF, le Front de gauche, avec les forces militantes qui leur restent et celles qui sont à construire, prioritairement dans les quartiers populaires, sans rien lâcher de leurs identités, de leurs propositions sur les questions sociales et économiques, prennent vraiment l'ensemble des  problématiques posées, notamment dans le forum de Gennevilliers, comme des questions aussi "essentielles" que les questions économiques et sociales. Ne serait-ce que parce qu'elles déterminent "en première instance", qu'on le veuille ou non, qu'on l'approuve ou non, les comportements, les revendications, et la perte de confiance dans la "classe politique", d'une multitude constituée des premières victimes de la crise globale du système capitaliste, du local au mondial. 

(1) à ma connaissance, le seul lieu de controverse rassemblant une réelle pluralité, suite aux manifestations contre Exhibit 2, a été celui ouvert, pour une soirée, à l'initiative du "réseau culture" du PCF, espace Oscar Niemeyer. Le débat, qui avait duré près de trois heures, avait été vif, passionné, et l'écoute respectueuse des points de vue différents, comme samedi à Gennevilliers.  Le fait que les représentants de la "diversité" sont quasiment absents parmi les directions des centres dramatiques nationaux et autres institutions culturelles, avait été dénoncé. Malheureusement, cette initiative n'a pas fait l'objet d'un compte-rendu et n'a pas eu de suite.

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